Ab imo pectore, du fond du coeur..

......Je forme une entreprise qui eut déjà quelque exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur (je l'espère). Je veux montrer à mes semblables une fille dans toute la vérité de la nature; et cette fille ce sera moi.

......Moi seule. Je sens mon coeur et je connais les humains. Je ne suis faite comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être faite comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir vue.

......Que le son de ma dernière note de piano jouée retentisse quand il voudra; je viendrai, l'adresse de ce blog en tête, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement: voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire (très courte, dirais-je); j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montrée telle que je fus, méprisable et vile quand je l'ai été, gentille, généreuse, quand je l'ai été: j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur aux pieds de ton trône avec la même sincérité; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose: Je fus meilleur que cette fille-là.

D'après les Confessions de Rousseau...